Quand les mots innocents d’un enfant dévoilent une souffrance familiale
Lina berçait tendrement sa sœur cadette, une scène touchante qui m'émouvait depuis mon lit de maternité. Sa fierté d'être grande sœur était palpable, mais ses paroles murmurées, « J'ai maintenant quelqu'un à qui raconter mes secrets, ceux que je ne partage pas avec papa », éveillèrent une curiosité inattendue.
Je crus d’abord à une imagination d’enfant. Mais cette phrase resta suspendue dans mon esprit, comme un écho que je n’arrivais pas à chasser.
Des mots qui laissaient un malaise

Les semaines passèrent. Lina inventait mille histoires, comme tous les enfants de son âge. Pourtant, un jour, je l’entendis chuchoter à ses poupées :
« On ne le dit pas à papa. C’est la règle. »
Quand je lui demandai de quoi elle parlait, elle détourna le regard, nerveuse, avant de filer dans sa chambre.
Ce n’était peut-être rien… mais une mère sent quand quelque chose cloche.
“Le monstre ne vient que quand papa n’est pas là”
Un soir, alors que le soleil se couchait, je l’entendis murmurer à sa petite sœur :
« Si papa demande, on dira que le monstre ne vient que quand il n’est pas là. »
Ces mots me glacèrent. En lui demandant qui était ce “monstre”, elle décrivit une ombre grande et sombre qui frappait parfois aux fenêtres ou se cachait dans la cuisine. Selon elle, ce monstre parlait d’une voix que Lila — le bébé — “reconnaissait”.
Je tentai de la rassurer, pensant à un cauchemar. Pourtant, une inquiétude profonde s’installa.
Un dessin qui en disait long

Une nuit, je retrouvai dans sa chambre un dessin troublant : une silhouette noire dominant deux petites formes, avec cette phrase maladroite écrite au crayon :
“Ne le laissez pas l’emmener.”
J’en parlai à mon mari, Julien. Il fut choqué, mais aussi mal à l’aise. Nous décidâmes d’en parler à une psychologue pour enfants afin de comprendre d’où venait cette peur.
Quelques jours plus tard, Lina disparut brièvement. Nous la retrouvâmes recroquevillée dans la remise, serrant Lila contre elle.
« Le monstre a dit qu’il venait. Il m’a dit que je pouvais lui donner Lila », murmura-t-elle, tremblante.
Personne n’était entré dans la maison.
Quand la vérité se dévoile
Avec l’aide de la psychologue, Lina finit par parler. Son “monstre” n’était pas imaginaire : il représentait ce qu’elle ressentait lorsque son père, stressé et épuisé, laissait échapper des accès de colère pendant ma grossesse.
Elle décrivait “le bruit des portes qui claquent” et “l’odeur de la bière” — des détails précis, traduisant une peur bien réelle.
Julien écouta, bouleversé. Il n’avait jamais voulu faire peur à sa fille, mais il comprit combien son comportement l’avait marquée. Il décida alors de se faire aider pour apprendre à gérer son stress et retrouver un équilibre.
La guérison, pas à pas
Peu à peu, le climat changea. Julien s’impliqua dans la thérapie familiale, Lina retrouva confiance, et la maison se remplit à nouveau de rires. Les “monstres” disparurent de ses dessins, remplacés par des arcs-en-ciel et des visages souriants.
Un matin, alors que nous préparions le petit déjeuner, Lina déclara simplement :
« Je n’ai plus de secrets à garder. »
Ce fut la plus belle phrase que j’aie entendue.
Ce que j’ai appris
Les enfants ont parfois une manière poétique, détournée, de dire leur peur. Leurs “monstres” ne sont pas toujours faits d’ombres : ils naissent du bruit, de la tension, des silences.
Mais quand on écoute vraiment, on peut transformer la peur en lumière.
Parce qu’au fond, aucun enfant ne devrait jamais apprendre à se taire pour se sentir en sécurité.
